Ce lundi 26 mai, l’examen de la loi « Duplomb » prétendant « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » devait commencer à l’Assemblée nationale. Loin d’apporter des réponses concrètes pour améliorer les conditions de travail et la rémunération des agriculteurs de notre pays ou notre souveraineté alimentaire, cette loi est plutôt un tragique renoncement à protéger notre modèle d’agriculture familial et les consommateurs du libre-échange généralisé.
Dans un grand département agricole tourné vers l’élevage comme l’Aveyron, il est logique que ce texte suscite du débat. J’ai rencontré les représentants de la FDSEA et des JA, accompagnés de trente agriculteurs. J’ai écouté et étudié leurs positions. J’ai également écouté les arguments des autres syndicats agricoles et ceux des plus de 150 interpellations de citoyens de la circonscription, notamment opposés à la réintroduction des pesticides « tueurs d’abeilles ». Les députés ont le devoir de débattre et d’amender ce texte devant les Français en prenant le temps nécessaire pour cela.
Malheureusement, le gouvernement, députés macronistes, LR et RN ont empêché le débat et fait le choix d’un nouveau passage en force contre la démocratie parlementaire. Dans une acrobatie politicienne inédite, ils ont voté une motion de rejet contre leur propre texte pour empêcher le débat à l’Assemblée et renvoyer la copie en « CMP ». La CMP (Commission Mixte Paritaire) est une sorte de petit conclave composé de quelques représentants des sénateurs et des députés. Habituellement, elle se réunit dans le cas où l’Assemblée nationale et le Sénat votent des versions différentes d’une même loi. La CMP sert alors à travailler une version définitive consensuelle, qui doit être adoptée ensuite par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Dans le cas présent, l’adoption d’une motion de rejet empêche de fait les députés de travailler et d’amender le texte et entraine une discussion en CMP directement, à partir de la seule base du texte voté au Sénat. Ensuite, le texte validé par la CMP arrivera à l’Assemblée pour adoption par un « vote solennel » des députés, sans aucune possibilité d’amendement. C’est une nouvelle façon de tordre nos institutions, la constitution et la vie démocratique de notre pays.
Malgré ce tour de force, je souhaite donner quelques éléments d’appréciation sur le contenu de cette proposition de loi.
Ce qui me parait important comme député de l’Aveyron, c’est d’agir pour défendre le modèle d’agriculture familial à taille humaine que nous connaissons dans notre département. Or, ce texte n’apporte aucune réponse sur le fond des difficultés qui étranglent agriculteurs et éleveurs. Cette loi ne traite en effet ni des revenus paysans, ni de la concurrence déloyale, ni des dettes paysannes, ni des retraites des agriculteurs. Elle ne revient pas sur la baisse de 6,6% des crédits consacrés à l’agriculture, soit 300 millions d’euros, dans le budget que M Bayrou a imposé par 49-3.
Globalement, c’est une loi de renoncement à un modèle d’agriculture familial, qui n’avantagera qu’une petite minorité de producteurs, ceux qui possèdent les plus grosses exploitations agricoles du pays.
Pour défendre l’agriculture familiale, il serait nécessaire de mettre en place un protectionnisme solidaire, d’empêcher les traités de libre-échange comme le Mercosur, de garder le contrôle sur la qualité de ce qui est produit et distribué et de permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. Ce sont les propositions que je défends à l’Assemblée Nationale, qui permettent à la fois de lutter contre la concurrence déloyale à l’extérieur du pays, mais aussi à l’intérieur du pays entre une petite minorité de fermes-usines et l’immense majorité d’exploitations agricoles à taille humaine. Au contraire, cette loi capitule face au libre-échange en choisissant une voie claire : non pas la protection de l’agriculture familiale respectant des normes sanitaires et de qualité mais une restructuration accélérée au profit des très grosses firmes d’élevage.
Voici trois exemples contenus dans cette loi, symptomatiques de ce choix de soumission à la concurrence internationale : les pesticides, la ressource en eau et l’agrandissement des élevages industriels.
Les pesticides : en commission, les députés macronistes, LR et RN ont rejeté un amendement pour interdire l’importation de produits traités avec des pesticides interdits en France. Plutôt que de protéger les consommateurs et les producteurs français en leur donnant les moyens de privilégier la qualité, ils font le choix avec l’article 2 de cette loi de les livrer à la concurrence internationale, en réautorisant des néonicotinoïdes dits « pesticides tueurs d’abeilles » qui étaient interdits en France depuis 2018. Ce n’est pas qu’une question d’impact sur la santé puisque les abeilles pollinisent les trois quarts des cultures que nous mangeons ! Sortir des pesticides tueurs d’abeilles est donc primordial pour protéger l’avenir de notre agriculture.
L’eau : l’article 5 de cette proposition de loi vise à faciliter le déploiement des méga-bassines dans les zones affectées d’un déficit d’eau. Les ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements sur les eaux superficielles et souterraines seraient présumés répondre au besoin en eau des agriculteurs. Or, les méga-bassines constituent un accaparement de la ressource en eau au détriment de la majorité des usagers et des agriculteurs. Seules les productions très gourmandes en eau seraient priorisées par ces ouvrages, symboles d’une mal-adaptation au manque d’eau et au changement climatique alors que la priorité devrait être à l’accompagnement des agriculteurs dans des pratiques moins consommatrices en eau.
L’agrandissement des élevages industriels : l’article 3 vise à faciliter l’implantation et l’agrandissement des grands élevages industriels, relevant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation. Si cette loi était votée, les seuils pour soumettre obligatoirement un élevage à une procédure d’autorisation augmenteraient considérablement et passeraient :
- Pour les volailles : de 40 000 à 85 000 emplacements – soit plus du double.
- Pour les porcs : de 2 000 à 3 000 emplacements – soit 50% de plus.
- Pour les élevages bovins : les seuils sont actuellement de 400 pour les vaches laitières et de 800 pour les bovins à l’engraissement. Les seuils seraient réhaussés par Décret ou, pire encore, ces élevages pourraient être exonérés de ces procédures.
Au final, une telle mesure visant à simplifier les procédures pour agrandir les élevages, ne « bénéficierait » qu’à une extrême minorité des exploitations (moins de 2% des exploitations sont aujourd’hui soumises à autorisation), généralement aux plus grandes qui sont déjà les mieux loties économiquement. Pire, ce choix aura pour conséquence d’aggraver la chute des exploitations familiales qu’on connait en Aveyron. En effet, la plupart des exploitations de notre département sont très loin d’atteindre ces seuils. Elles se retrouveraient alors en concurrence directe avec d’immenses ferme-usines en France et ne pourraient de toute évidence pas lutter avec à armes égales.
Il me semble d’intérêt général de refuser ces reculs pour défendre une agriculture familiale rémunératrice. C’est pourquoi je continuerai à proposer et voter pour :
- Des prix planchers rémunérateurs et une régulation des prix
- L’encadrement des profits de la grande distribution
- L’augmentation du budget de l’agriculture, notamment pour l’installation-transmission
- Un accompagnement concret pour effacer les dettes des paysans engagés dans la transition agro-écologique
- Une opposition à tous les traités de libre-échanges, notamment le Mercosur, sans conditions fumeuses.
